A la recherche de mon or noir…

Et non ! Je n’ai pas creusé le sol de mon jardin pour voir si j’y trouvais du pétrole. Mon or noir à moi est le chocolat… Une passion que j’ai partagée avec mon père aussi longtemps que j’ai pu. Aujourd’hui encore, pas un carré ne chatouille mes papilles sans que je ne pense à lui. Si le paradis existe, j’espère qu’il lui a réservé des rivières entières de chocolat.

Mes amis pourraient en témoigner, je connais moult chocolatiers. Je sais choisir chez les uns, chez les autres leur meilleur cru ou la meilleure bouchée chocolatée. Rien que d’y penser, certains souvenirs émus remontent à ma mémoire gustative et Proust peut aller se rhabiller avec sa madeleine. Que l’on soit dans un quartier de Paris ou un village de province, je suis capable d’imposer un détour parce que tel(le) ou tel(le) boutique / atelier / manufacture est in-ra-ta-ble ! Heureusement que mes compagnons de route sont tous gourmands, sinon je crois qu’ils finiraient par me maudire… Mais vous vous en doutez, toute cette connaissance ne m’a servi à rien quand il s’est agi de trouver THE chocolat pour mes pâtes à tartiner. Ce n’était plus en plaquette ou en bouchée qu’il fallait réfléchir mais bien en sac de 25kg. Le rêve !!!!

Alors, j’ai fait comme d’habitude, j’ai retroussé mes manches et j’ai…commencé par le commencement. Comme pour l’ananas (voir Quand choisir un ananas devient une question existentielle…), je veux un chocolat compatible avec mes choix philosophiques (et ouais, moi, je fais des choix philosophiques). Il se doit d’être bio et équitable, évidemment. Mais ce n’est pas le tout d’utiliser des mots à la mode qui font la joie des services marketing, encore faut-il se demander quels sont les enjeux concrets sur le terrain. Si j’en reviens à ma fameuse chaîne qui nous relie, vous et moi, au destin du producteur de cacao, à quoi contribuons-nous en achetant ce chocolat plutôt qu’un autre ?

Première évidence : une rémunération juste du producteur.
De ce point de vue, les chiffres de la filière cacao sont particulièrement affligeants. Nous avons d’un côté 5 millions de petits producteurs de fèves, l’énorme majorité possédant de petites parcelles familiales, et d’un autre 6 grands industriels qui constituent à eux seuls 50% du marché de la confiserie chocolatée. Parmi eux, on retrouve Nestlé, Ferrero et Mars. Vous pensez bien que le petit producteur dans ses montagnes andines ou ses plaines ivoiriennes n’est pas en position d’imposer grand chose à ces mastodontes qui ne brillent pas particulièrement par leurs scrupules. D’autant plus qu’il faut rajouter encore un intermédiaire : les transformateurs, eux aussi de la catégorie mastodonte multinational, qui assurent la fermentation des fèves, étape indispensable dans la fabrication du chocolat. Au final, le revenu moyen d’une famille se situe entre 2.000 et 3.000 dollars par an. Ramené par personne, nous sommes en dessous du seuil de pauvreté de 2$ par jour.

Et ça, c’est dans le meilleur des mondes ! Que se passe-t’il quand le prix du cacao chute drastiquement juste parce que les conditions climatiques ont été propices en Côte d’Ivoire, le 1er producteur mondial, et la récolte abondante ? En 2000, le cours du cacao est descendu jusqu’à 714$ par tonne. A l’inverse, deux ans après, une tentative de coup d’Etat contre le président ivoirien entraîne le pays dans un conflit militaire et le cours du cacao grimpe jusqu’à 2.335$ la tonne. Bref, voilà notre petit producteur écrabouillé non seulement par les mastodontes mais également par la versatilité du marché. Lui et toute sa famille bien sûr, car qui dit pauvreté absolue, dit travail des enfants. En Côte d’Ivoire, certains avancent le chiffre de 250.000 enfants dans les plantations de cacao, avec 94% d’entre eux qui utilisent des outils dangereux type machette et 80% qui portent des charges lourdes. Il pèse un peu sur l’estomac ce carré de chocolat, non ? Moi, à ce stade, je ne le digère plus.

Dans ce drame socio-économique, le commerce équitable apporte une réponse tangible. Grâce tout d’abord à un prix minimum garanti, quelque soit le cours du cacao, qui se situe au moins 20 à 30% au dessus. Voilà le revenu de notre petit producteur un peu plus décent et assuré d’une année sur l’autre. Une partie de cette augmentation est absorbée par nous, vous et moi, acheteurs de ce chocolat et une autre partie par l’intermédiaire équitable qui joue le jeu de faire des marges moins importantes que les autres.
Mais ce n’est pas tout, et là, le système prend tout son sens. Au prix décent s’ajoute une prime de développement donné à la coopérative locale. Elle se situe souvent entre 10 et 30% et donne à la coopérative les moyens d’acheter notamment du matériel. Prenons un pays comme Haïti. Sa production de cacao se situe entre 4.000 et 6.000 tonnes par an. En d’autres termes, à peine une petite cacahouète comparé à la production mondiale mais à l’échelle de l’extrême pauvreté du pays, c’est beaucoup. L’absence de fermentation sur place empêchait ce cacao d’accéder au marché mondial et imposait à nos producteurs des prix très bas de collecte, environ 50% du prix pratiqué en République Dominicaine à une frontière de là. Grâce à la prime de développement, la coopérative Feccano s’est doté d’un atelier où est assurée la transformation des fèves en cacao exportable. Les 3.000 familles que regroupe la coopérative ont vu le prix de leur cacao augmenter de 70% et leur niveau de vie changer du tout au tout. Avec en moyenne, 6 ou 7 personnes par famille, nous parlons de près de 20.000 personnes concernées. Ça fait plaisir, non ? Il passe mieux le chocolat, non ?


© source photo : Ethiquable

Ce n’est pas complètement par hasard que je vous parle d’Haïti… Quand j’ai commencé à chercher le chocolat idéal pour mes pâtes à tartiner, je suis tombée sur un cacao haïtien commercialisé chez Ethiquable. Et là s’ouvre sous nos papilles ébahies l’autre dimension passionnante du commerce équitable : la dimension écologique.
Car figurez-vous que la culture du cacao a des conséquences écologiques catastrophiques. Revenons à notre premier producteur mondial, la Côte d’Ivoire. Des forêts entières ont été décimées pour laisser place aux exploitations cacaotières, même dans les parcs nationaux pourtant protégés. Avec l’explosion du marché du chocolat depuis les années 2000, les forêts denses ne représentent plus que 4% du pays. En somme, le cacao en Côte d’Ivoire et l’huile de palme en Indonésie, c’est kif-kif bourricot. Des populations entières de singes et d’éléphants perdent leur habitat naturel, la biodiversité est plus que largement menacée, le CO2 contenu dans les forêts tropicales se déverse dans l’atmosphère contribuant ainsi au réchauffement climatique. Réchauffement climatique qui crée une sécheresse sur place (2,3° en plus en Côte d’Ivoire quand même) dont souffrent les cacaotiers et qui favorise des épidémies comme celle de la pousse gonflée véhiculée par une variété de cochenille. Bref, le cacao ivoirien est malade… de la culture du cacao, et pendant ce temps-là, le serpent se mord la queue. Mais rassurez-vous, braves gens, tout n’est pas perdu ! Les scientifiques travaillent à créer des variétés génétiquement modifiées qui résisteront à tout ce chaos. Et là, moi, les bras m’en tombent face à l’aberration du monde.

La solution, elle est déjà connue et pratiquée depuis belle lurette ! En Haïti, par exemple, la cacao se cultive dans des jardins créoles, autrement dit de la permaculture traditionnelle. Le manguier ou l’oranger assure la couverture arborée qui maintient l’humidité nécessaire au cacao, au pied duquel pousse igname, plantain, manioc, haricot, et autres. C’est un peu schématisé dit comme ça, mais vous comprenez le principe. Le jardin créole permet de préserver la couverture végétale essentielle à des sols en bonne santé. De plus, les variétés de cacao cultivées sont des variétés locales, comme le criollo, certes moins productives et moins résistantes que le forastero. Et là, enfin, nous arrivons à la question qui me passionne le plus : le goût ! Aaaaaaahhhh, le criollo. Que vous dire sur la richesse de sa palette aromatique, la rondeur de son parfum et sa longueur en bouche ? A côté, le forastero fait bien pâle figure avec l’amertume et l’acidité qui le caractérisent.

Donc, si je fais le point à ce stade, j’ai le choix entre un chocolat pas cher qui tue à petit feu ses producteurs et la planète, et un chocolat un peu plus cher qui contribue à un développement durable et meilleur en goût. Comment vous dire que je n’hésite pas longtemps… Je contacte donc Ethiquable et je tombe sur une jeune femme à la pêche débordante répondant au doux nom de Séverine Champié. Et là, elle m’apprend qu’ils ont un autre chocolat qui peut m’intéresser : celui de la coopérative Norandino situé au Pérou. Je ne résiste pas et je me commande un sac de 5kg de chaque pour faire mes tests. Et surtout goûter. Je laisse fondre les pastilles dans ma bouche et entre les deux, mon cœur ne balance pas. Haïti gagne haut la main. Oui mais… qu’en est-il mélangé avec la noisette et l’amande ? Et là, catastrophe, le choix est cornélien. Indéniablement, le chocolat haïtien reste meilleur mais celui du Pérou, très savoureux en l’occurence, se marie peut être mieux avec les fruits secs. Que choisir ? Je décide alors de me pencher un peu plus sur cette coopérative Norandino et je découvre une nouvelle dimension à notre commerce équitable. Quoi ? me direz-vous, il en reste encore ? Et oui…

Norandino est née dans une région au sol délavé, où une agriculture exsangue tente de survivre sur de petites plantations vieilles et peu productives au faible prix de revient. Les jeunes n’ont qu’une perspective : l’exode vers les faubourgs miséreux des villes. Dans cet univers à l’avenir peu radieux, deux frères, fils de producteur, arrivent à se former à l’université et deviennent agronomes. A la fin de leurs études, ils reviennent au pays et partagent leur savoir avec leurs voisins, puis les voisins de leurs voisins, puis les régions voisines. L’agriculture devient durable et source de vie. La région connaît une transformation radicale en moins de dix ans. Au delà de la préservation des terres et d’un revenu décent, Norandino pose une économie sociale et solidaire. Son organisation politique repose sur la base. La prise de décision n’est pas dans les mains de quelques bureaucrates déconnectés du terrain (pas comme chez nous, quoi). Tous participent. Et ça marche. Aujourd’hui, Norandino est un véritable mouvement paysan qui a pu grandir grâce au commerce équitable. Représentant aujourd’hui 7.000 familles, Norandino est en capacité de négocier avec le gouvernement en tant qu’interlocuteur fiable au niveau local et au niveau national.

Bon, tout cela ne m’aide pas à choisir entre Haïti et Pérou pour mon chocolat. Tous les jours, je prends une cuillère de pâte à tartiner faite avec l’un et une de l’autre. Et tous les jours, j’hésite… Les deux, mon capitaine ?

PS. J’ai mis tout le monde dans le même sac sur le commerce équitable pour ne pas compliquer le propos, mais il est évident que tout le monde n’est pas à la hauteur des engagements d’Ethiquable. Et il est tout aussi évident qu’ils ne sont pas les seuls à faire du chouette boulot. Je peux au moins citer Kaoka et Alter Eco, qui sont ceux que je connais.

Pour retrouver les pâtes à tartiner, cliquez sur l’image ci-dessous !