Rencontre avec René et Corinne Godeau, producteurs de pois chiche en Ile-de-France

Ca fait bien longtemps que je ne vous ai pas écrit…
Ce n’est pas que je vous oublie, c’est le temps qui me file entre les doigts et les neurones. Pourtant, j’en ai des choses à vous raconter ! Le printemps a été très intense dans l’atelier avec la mise au point de 5 nouveaux produits : 3 tartinades apéros et 2 sauces salées. Il a fallu perfectionner les recettes, valider les processus sanitaires de pasteurisation, trouver les matières premières, organiser la production en cuisine… Bref, un vrai parcours du combattant où il faut avoir les nerfs solides !
Un parcours du combattant, certes, mais aussi l’occasion de bien chouettes rencontres. Et c’est une de celles-ci que j’ai envie de vous raconter aujourd’hui.

Chez l’Ogresse, tout commence dans un bocal. Le point de départ de cette histoire est un houmous que je me suis mise en tête de fabriquer. Alors, oui, je sais, des houmous, il y en a à la pelle. Pourquoi en rajouter un de plus ? La raison en est simple : à mon goût, ils manquent tous de citron et d’ail… Et donc, me voilà lancée dans cette aventure. Et en cherchant les pois chiches qui vont finir dans mon chaudron, je tombe sur une ferme qui en fait pousser en Ile-de-France ! Incroyable, non ? Alors, bien sûr, ils sont 25% plus chers que les pois chiches italiens que me proposait un de mes fournisseurs. Mais ce n’est pas parce que l’empreinte carbone ne se paye pas qu’elle n’a pas un coût ! Et puis, si au lieu de payer du transport et un grossiste, je peux rémunérer un agriculteur correctement pour son travail, j’aurais fait d’une pierre deux coup, non ?

Voici René, Corinne et Léo, leur fils qui va reprendre l’exploitation

En réalité, j’ai fait trois coups avec cette fameuse pierre. Car j’ai eu la chance de passer un joli moment avec René et Corinne Godeau, des agriculteurs qui ont fait des choix forts et pris des risques pour être en accord avec leurs valeurs. Adorable, Corinne avait préparé des financiers pour m’accueillir. Nous nous sommes attablées toutes les deux dans la cuisine, autour d’une tasse de thé, et nous avons commencé à discuter. Corinne me raconte l’histoire de ce choix improbable de faire pousser des pois chiches en Ile-de-France.

Quand René, son mari, reprend l’exploitation de ses parents en 1984, ce sont des céréales qui poussent sur ses terres. Il passe en agriculture raisonnée, essaye de mettre le moins d’intrant dans la terre, n’irrigue pas, ce qui n’arrange pas du tout les céréales qui ont besoin d’eau. Il tente le tournesol, mais les lièvres l’ont grignoté. Bref, tout ça ne fonctionnait pas très bien. « D’ailleurs le métier ne l’intéressait plus tel qu’il était conçu parce qu’en conventionnel, on a des périodes très précises. A telle période, on fait un insecticide, à telle période, on fait un fongicide. Tout le monde fait la même chose au même moment et ça, ça ne l’intéressait pas. Et le fait d’être passé en bio, ça l’a de nouveau intéressé à ce métier parce qu’il a appris le sol. » En 2000, René passe en bio, conscient que les produits qu’il mettait dans ses champs, même à toute petite dose, ne lui convenaient pas. On se moque un peu de lui dans le milieu, en le voyant retourner à des méthodes plus anciennes. Mais il continue dans sa démarche. Apprendre le sol, comprendre le sol, ces expressions reviennent régulièrement dans le récit de Corinne. « Nous, on a une terre qui est très calcaire, il y a beaucoup de cailloux, Ce n’est pas une terre profonde. On n’a pas une terre à faire des légumes de plein champs. Il faut adapter les cultures en fonction de son sol. Donc, on est parti sur des légumes secs. » Depuis, René et Corinne subissent moins les variations du temps. Avec l’expérience, René arrive à s’adapter aux différents aléas et anticiper les problèmes. Quand des chardons s’avèrent vigoureux et qu’ils concurrencent le pois chiche au point que le champ n’allait rien donner, il retire tout sans attendre, retourne complètement la terre et resème de nouveaux pois chiches qui muriront plus tard dans la saison. « En bio, c’est beaucoup plus de boulot qu’en conventionnel. En conventionnel, vous avez un problème, insecte ou maladie, hop, vous passez un produit. On épuise le sol, on supprime les insectes et la vie autour, mais c’est comme ça. Donc, c’est assez facile d’avoir des champs propres. En bio, c’est une autre façon de travailler, il y a beaucoup d’agriculteurs qui sont inquiets, qui ne s’en sentent pas capables. Je ne peux pas leur en vouloir de ne pas passer en bio. »

Avec l’expérience, le pari de René de faire pousser des légumes secs sous nos cieux s’est avéré judicieux. Ces cultures se plaisent dans ses terres calcaire et ne souffrent pas du manque d’eau. « Cette année, c’est très, très sec. Malgré tout, quand on passe la main dans les champs de pois chiche, on sent une humidité, c’est une plante qui se protège de la sècheresse. ». Et depuis quelques années, les légumineuses ont le vent en poupe chez les consommateurs qui veulent réduire leur consommation de viande. A tel point qu’un ami maraîcher propose à René de rejoindre le circuit des AMAP pour répondre à la demande. « Pour nous, ça impliquait quand même d’être capable de faire beaucoup plus de choses que de cultiver la graine dans son champ. Ca veut dire faire du tri. La lentille, il y a 4 tris différents par exemple, selon la densité, la grosseur, le tri optique, etc. Avant, nous vendions tout en coopérative, des camions venaient et s’occupaient de la transformation. » A chaque légumineuse, correspond une technique de moisson et une technique de tri. Petit à petit, René et Corinne trouvent les solutions qui vont leur permettre d’aller jusqu’au bout de la chaîne et vendre directement au consommateur. « Pour la lentille ou les haricots, on passe par un prestataire. Le pois chiche, on le trie nous-mêmes. C’est possible, la graine est plus grosse. On s’assoie autour d’une grande table en famille et, on trie tous ensemble. Ensuite, on fait la mise en sac avec un autre collègue agriculteur. On imprime nous-mêmes les étiquettes et on les colle. Il y a des machines qui font ça, mais c’est un ensachage en plastique et ça, on ne voulait pas. » Aujourd’hui, René et Corinne distribuent leurs légumineuses et leur quinoa dans une vingtaine d’AMAP. Un système qui leur permet une meilleure rémunération pour leurs produits mais qui demande aussi une plus grande implication dans un domaine totalement nouveau : la communication. « Moi, je travaillais très peu sur l’exploitation avant et là, ce qui a permis de se lancer dans les AMAP, c’est que je m’occupe du suivi qui peut être très compliqué selon les AMAP, les chèques, la communication, proposer des recettes. Je fais beaucoup de cuisine, beaucoup de tests. Les gens sont en demande. On ne consommait pas les légumes secs de façon régulière avant. Il faut fournir en recettes, faire déguster, montrer qu’on peut aller plus loin que le houmous ou le petit salé lentilles. On peut cuisiner tellement de choses avec des lentilles, même une crème brûlée ! D’ailleurs, prenez un petit financier ! »

Dans l’atmosphère douce de la cuisine, la conversation avec Corinne glisse d’un tout vers un rien, en passant par tout ce qui nous tient à cœur, le plaisir de manger, de cuisiner, et l’envie de faire autrement. Petit à petit, son visage s’assombrit et sa voix s’attriste. « Je suis très pessimiste. C’est grave ce qui se passe, et nous n’avons pas de billet de retour. La terre, elle va s’en sortir, nous, c’est moins sûr. Nous avons scié la branche sur laquelle nous sommes assis. Ca va au delà de l’écologie. Il y a quand même des pays dans le monde qui ne sont plus capables de se nourrir comme avant. Prenez le quinoa, par exemple, en Amérique du Sud. Les autochtones ne peuvent plus se payer cette culture qui était la leur au départ et qui maintenant est destinée à l’exportation. La canne à sucre, le soja, l’huile de palme, tout ça a pris des proportions énormes. Nous avons choisi de produire du quinoa justement pour répondre à cette demande de façon locale. C’est une façon de briser une chaîne qui n’est pas logique. Le problème de l’agriculture, c’est miser sur ce qui se faisait il y a 50 ans, sans s’adapter au changement climatique. Cultiver du mais alors qu’on a des soucis de sécheresse, c’est aberrant, surtout pour l’alimentation animale. S’obstiner sur des marchés saturés. Avant les paysans vendaient leur blé sans problème, mais dans un marché mondialisé comme il est aujourd’hui, c’est plus compliqué. Il faut aller vers plus de valeur ajoutée, plus de transformation, il y a de quoi faire encore.  Il faudrait revenir en arrière, faire comme nos grands-parents. Un peu comme dans les jeux vidéos, il faudrait avoir une seconde chance et recommencer à zéro. »

Je repars de chez Corinne heureuse de ce joli moment passé avec elle et encore plus convaincue de mes choix de fonctionner de façon la plus locale, la plus durable et la plus équitable possible. Même si elle est dérisoire face à notre monde déréglé et économiquement difficile à tenir pour ma petite entreprise, c’est une façon de refuser d’entretenir un système qui nous précipite dans le vide. Après tout, pouvons-nous faire autre chose que d’agir à notre toute petite échelle ?

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